Albert de Dion, l'aristocrate mécanicien - Nantes - mardi 28 février 2006

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Publié le: 28/02/2006 - Mis à jour le: 08/10/2019
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P826_060228.jpgIl y a 150 ans naissait à Nantes l'un des pionniers de l'histoire automobile

Le grand bonhomme des torpédos pétaradantes de la Belle-Époque est un aristocrate nantais, le marquis de Dion. Né le 9 mars 1856, cet industriel visionnaire est aussi à l'origine des premières cartes routières, des panneaux de signalisation, de la création du journal L'Auto, ancêtre... de L'Équipe. Portrait.

Juillet 1883. Les promeneurs du bois de Boulogne voient apparaître avec stupéfaction une « machine pétaradante, crachant le feu », roulant à une trentaine de kilomètres à l'heure. Au volant, le visage masqué par une impressionnante paire de lunettes, un jeune dandy de 27 ans, passionné de mécanique : le comte Albert de Dion. Cet aristocrate, né à Nantes le 9 mars 1856, n'a pas fini de défrayer la chronique.

La bande à Bonnot circule en De Dion

Voilà plus d'un an qu'Albert de Dion s'est associé avec Georges Bouton, un modeste ingénieur aux mains noircies par le cambouis. La tête et les mains. La carpe et le lapin ? « Les deux hommes n'étaient pas du même milieu, convient René Ville, président de l'Amicale De Dion-Bouton. Mais la passion de la mécanique les a réunis. Et le côté visionnaire du comte a eu raison des dernières hésitations de l'ingénieur. »

Sous l'écorce d'un homme du monde, de Dion est un vrai meneur d'hommes, stimulant les uns, bousculant les autres. L'entreprise délaisse rapidement les tricycles à vapeur pour les automobiles roulant à « l'essence de pétrole » (1895). Au fil des ans, les moteurs sont allégés grâce à l'emploi de l'aluminium. Et deviennent de plus en plus puissants. Les châssis sont de mieux en mieux profilés. Et le fameux « pont de Dion » (transmission avec cardan), installé sur l'essieu arrière, fait merveille. La bande à Bonnot... comme les Brigades du Tigre circulent en De Dion-Bouton.

« Ce fut vraiment l'âge d'or de l'automobile française, résume René Ville. Toutes les trouvailles des deux associés ont été reprises, les années suivantes, par les autres marques. De Dion est vraiment le père de l'automobile moderne. Il proposa même, dès 1903, un projet de véhicule automobile blindé à l'armée... Projet qui fut, bien entendu, refusé par l'État-Major. »

Installée à Puteaux, sur les bords de Seine, la petite société devient rapidement une grande usine : 200 ouvriers en 1897, 1 300 en 1900 et 2 500 en 1906. « Jusqu'à la guerre de 1914, précise René Ville, ce sont plus de 300 modèles de voitures qui voient le jour dans les ateliers. Soit une production totale de 300 000 véhicules. »

Sous couvert de paternalisme, De Dion gère son personnel d'une main de fer : conservateur antidreyfusard, violemment hostile au syndicalisme, il n'hésite pas à prendre quelques libertés avec le droit du travail. D'où des conflits parfois violents avec ses ouvriers, qui n'hésitent pas à déclencher une grève en 1899.

Pékin-Paris en 1907

« Construire de la mécanique » est une chose. La promouvoir en est une autre. Dans ce domaine-là aussi, Albert De Dion se montre futuriste. Il organise toutes les grandes courses automobiles de capitale à capitale (Paris-Berlin, Paris-Madrid, Pékin-Paris en 1907), après avoir créé l'Automobile club de France, en 1895. La même année, il inaugure le premier salon de l'Automobile, dans le vieux palais de l'Industrie.

On lui doit aussi les premiers guides de voyage, les panneaux signalisateurs sur les routes et les premières cartes routières. En décembre 1902, sort une carte des « environs de Paris » au 1/200 000e « indiquant les distances en kilomètres des localités entre elles [...]. Les chauffeurs et les cyclistes y trouvent les routes pavées à éviter, les bureaux de télégraphe et téléphone, les hôtels recommandés, les mécaniciens... »

Mais après la Première guerre mondiale, l'entreprise toussote. De Dion persiste à vouloir fabriquer des modèles de luxe, qui se vendent mal. Les plans de sauvetage se succèdent. En 1931, la société cesse de produire des automobiles. Dépassé, le marquis se retire des affaires vers 1933 et consacre ses dernières forces à son siège de sénateur de Loire-Inférieure. Il meurt le 19 août 1946 à Paris. La marque qu'il avait créée 85 ans auparavant disparaît définitivement en 1968. Un pan de l'histoire automobile française vient de sombrer.

Joël BIGORGNE.