Peugeot Sochaux, l'équipe de nuit, c'est fini

Actualité Peugeot

Publié le: 02/02/2009 - Mis à jour le: 29/11/2023
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A partir d'aujourd'hui, faute de commandes suffisantes, le travail de nuit est stoppé dans la plus grande usine de France. Et 800 intérimaires seront renvoyés, d'ici au printemps.

Sochaux. De nos envoyés spéciaux

Ce lundi, il change d'horaires et de vie. Pas le choix. Comme 1 300 de ses camarades de Peugeot Sochaux, Christian Corouge, 58 ans, retoucheur tôlier, revient au jour et à un rythme de travail « normal ».

« Il y a danger »

Ce lundi, c'est la fin de « la nuit » dans la plus grande usine de France, aux 12 500 salariés. C'est l'étau de la crise qui se resserre un peu plus et les intérimaires - 800 à la fin décembre - qui devront quitter l'usine, d'ici à la fin mai. « Et quand il n'y a plus d'intérimaires, frissonne-t-on dans les ateliers, ça veut dire qu'il y a danger. »

Quand, il y a dix ans, le constructeur automobile décide de monter une équipe de nuit, Christian Corouge, militant CGT, n'hésite pas à se porter volontaire. « J'avais à l'époque deux de mes trois gosses en fac à Belfort. Nos salaires, à ma femme et à moi, n'étaient pas épais et on manquait de fric. La nuit, c'est 22 % en plus : 350 à 400 € sur des paies qui n'excèdent pas 1 600 €. »

Sur la chaîne, il se retrouve aux côtés de jeunes femmes d'origine maghrébine « dont c'était la première plongée dans le monde », de mères célibataires, de femmes seules aux revenus modestes, de jeunes couples qui s'étaient endettés pour construire.

« Ça a été une horreur », soupire-t-il. Au point de ne pas regretter grand-chose de ces foutues nuits. L'embauche à 21 h, la sortie du turbin au petit matin, à 5 h. Crevé, décalé, à côté de la plaque, nécessairement. « On gagne plus de blé, on consomme plus de biens, mais on passe à côté des charmes de la vie, le resto, le ciné, les réunions avec les copains. Même le samedi, je restais écroulé dans mon fauteuil. »

« Les postes les plus pourris »

En revenant à la normale, « ceux de la nuit » vont perdre leur bonus de 400 €. Ce sera dégressif sur trente-trois ou soixante six mois. Et tous repiqueront aux « postes les plus pourris ». Ceux qui étaient occupés par les intérimaires, « variable d'ajustement » sacrifiée, passée par-dessus bord, sans bruit ou presque.

« Sept cents, huit cents virés d'un coup, s'étrangle Christian Corouge. Ça devrait faire un scandale au plan national, non ? Ces jeunes, il faudrait les embaucher et nous laisser partir, nous les plus vieux ! »

Les intérimaires de Peugeot ne sont pas les premiers à se faire virer dans une région où le taux de chômage, de 10 %, grimpe comme une mauvaise fièvre. « Chez les équipementiers, les sous-traitants, chez Faurecia ou chez Arcelor-Mital, il y a déjà eu un coup de feu, plusieurs dizaines en moins en quelques semaines », s'inquiète Saverio Mastrapasqua, responsable des métallos CFDT de Sochaux-Montbéliard.

« Faut comprendre les patrons ! La crise, elle est partout. » Sébastien Bourlier a 20 ans. Il est résigné. Le 22 mars, il quittera la chaîne où, depuis septembre, il pose les portes arrière des 308 pour un petit Smic. « Le boulot n'est pas fatigant, mais on s'ennuie vite. Je ne me voyais pas faire ça pendant quarante ans. »

Pas comme son père, qui a quitté PSA, l'an dernier, à 56 ans, en préretraite. Et qui espérait mieux pour le fiston, en tout cas autre chose que Peugeot. Sébastien habite encore chez ses parents, il a un CAP de carreleur et rêve désormais de devenir chauffeur routier.

« Peugeot m'a sauvée »

Peugeot ? Ça ne lui faisait pas non plus envie, à Liliane, 34 ans, quand elle voyait son père rentrer le soir du boulot, silencieux, les traits tirés. Et puis la vie... Séparée, la jeune femme élève seule son fils de 7 ans, elle a beaucoup bougé, multiplié les jobs dans la restauration. Quand, cet été, elle est revenue à Montbéliard, elle avait une hantise, se retrouver au RMI.

Finalement, « il y a quatre mois, Peugeot m'a sauvée. Une mission d'intérim ». Qui devait être renouvelable en avril, mais va se terminer là. « J'ai peur de me projeter dans un an ou deux. Je ne sais plus sur quel pied danser. Avant, on rêvait, une maison, un voyage... Maintenant, je compte le moindre argent. Pour avoir de quoi vivre deux ou trois mois de plus. »

« Les oubliés... »

Quel horizon pour tous ces jeunes intérimaires, fils et filles d'immigrés arrivés en Franche-Comté dans les années 1970 pour faire turbiner la machine ? Retrouver leurs quartiers, la Petite-Hollande à Montbéliard, Champ-Vallon à Bethencourt ?

Désoeuvrés. Sans perspective dans un territoire totalement voué à la bagnole. « Avant, au RMI, ils vivaient mal, mais sans avoir goûté au reste, souffle Christian Corouge. L'intérim a mis un peu de beurre dans la vie des quartiers et c'est fini. »

« J'ai peur qu'ils soient les oubliés des États généraux de l'automobile et qu'il y ait un échauffement dans nos banlieues », prévient Pierre Moscovici, président de la communauté d'agglomération de Montbéliard. Derrière nous, dans un bruit de ferraille, des trains bourrés de 308 filent vers des marchés épuisés. Pour combien de temps encore ?

Texte : Marc Pennec - Photo : Daniel Fouray, Ouest-France