Camionneuse : de la douceur dans un monde de brutes

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Publié le: 03/10/2008 - Mis à jour le: 07/04/2015
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Elles sont pilote de course et conductrice de poids lourd au quotidien. Portrait de deux femmes présentes au 24 Heures camions.

• Elle a un visage de poupée et un camion de cinq tonnes. Jennifer Janiec, 20 ans, était ce week-end l'unique femme pilote présente sur la grille de départ des 24 Heures camions. Seule parmi les hommes.

« Vous savez, c'est un monde de machos. Si par malheur, elle a un accrochage avec un autre concurrent, ce sera automatiquement de sa faute. Elle est jeune. Et c'est une femme », glisse Alain Lancereau, journaliste à France-Routes et accessoirement conseiller en communication de la camionneuse.

Divina Galica, Aline Rambeau : une poignée de femmes ont déjà inscrit leur nom au palmarès des championnes de course de camion. Désormais, il faudra peut-être compter avec cette jeunette originaire de Metz chez qui le goût de la mécanique ne date pas d'hier. Car chez les Janiec, l'amour des pistons est une histoire de famille.

Cinq épreuves au compteur

C'est le père, Jean-Pierre, cascadeur et désormais patron de l'écurie « Janiec racing team » installée sur le pôle mécanique d'Alès (Gard), qui a transmis la fièvre des moteurs à ses enfants. D'abord à Anthony, l'aîné qui court aujourd'hui en Formule 3 après avoir tâté du camion. Puis à la cadette.

« Quand j'étais petite, je passais tous les week-ends sur des circuits », se souvient Jennifer Janiec. Elle embraye sur un stage de pilotage. Avant de poursuivre sur les bancs d'une école où elle affûte sa conduite. « Je n'avais pas encore 16 ans. » Après s'être assise dans le baquet d'une formule Renault, elle troque sa voiture de 400 kg pour le monstre de 5 tonnes qu'elle conduit depuis mai dernier.

Draguer les grosses marques

Depuis, elle a cinq épreuves au compteur. Et pas des moindres. La première fois, c'était en Espagne pour le championnat d'Europe, le top dans cette discipline. Mais dans cette course rugueuse, pas question d'espérer un brin de galanterie. « Elle courait avec des Espagnols et des Portuguais. Les meilleurs. Mais eux n'ont pas peur de la casse. Pourtant, c'est la seule à ne pas être sortie de piste », se félicite Alain Lancereau.

Cette aventure, Jennifer Janiec voudrait bien la poursuivre. « Dans les courses de camion, c'est important d'avoir une femme en compétition. On le voit bien, assure l'omniprésent conseiller en communication qui a bien saisi l'intérêt de sauter sur un créneau marketing où personne ne s'était encore positionné. Dans le public, les mamans et leur enfants aiment la soutenir. Et puis, plus généralement, c'est intéressant de faire venir les femmes dans le monde du transport qui manque aujourd'hui de bras. »

Mais dans ce sport mécanique, contrairement à la voiture, l'argent ne tombe pas du ciel. Et les sponsors ne sont pas légion. D'ailleurs pour vivre, Jennifer Janiec dirige une entreprise de sérigraphie et une société d'événementiels. Mais sa petite équipe a déjà une idée en tête.

Objectif : draguer les grosses marques, comme Renault Trucks, le poids lourd dans ce petit monde du camion de course. « Il faudrait qu'ils comprennent qu'une fille, c'est important pour l'image de la marque », tente Alain Lancereau.

En attendant des jours financièrement meilleurs, la jeune camionneuse va peut-être devoir jouer un peu plus des épaules. « Il y a des concurrents qui ont vu qu'elle était un peu tendre. Il va falloir s'imposer », tranche Alain Lancereau. Et visiblement pas uniquement vis-à-vis d'eux.


• « Dans mon camion, c'est le bonheur, je suis une princesse »
Elle porte peut-être un « Marcel » qui lui dessine une solide carrure. Mais ne comptez pas sur Florence Ployer pour parler comme un charretier, s'habiller avec des sacs ou fumer des Gitane.

Cheveux auburn, lunettes de soleil aux montures étoilées, jean moulant et chaussures à talon, elle y tient : « Je suis féminine et je veux le rester. En été, quand je suis en déplacement, je m'arrête, j'enfile une jupe et je vais dîner dans les routiers, raconte la camionneuse âgée de 45 ans.
C'est vrai que les collègues qui ne me connaissent pas me prennent souvent pour une représentante. Ils me parlent de leur problème de gasoil. Je ne dis rien. Il faut voir leur tête quand je remonte dans mon camion qui est deux fois plus gros que le leur. » Ce petit bout de femme ne manque pas d'humour.

Le métier de chauffeur-routier ? Elle est tombée dedans en 1981. Après avoir sillonné l'Europe, et s'être arrêtée pendant dix ans pour élever sa fille, elle a repris le volant. Cette fois-ci, elle ne « fait » plus que le Sud de la France au volant de son 40 tonnes réfrigéré, le plus gros poids lourd sur le marché.

15 000 km par mois

Chaque mois, elle avale 15 000 kilomètres de bitume. Elle bosse le week-end et les jours fériés. « Conduire un camion, j'ai ça dans le sang », dit-elle. Son salaire ? Environ 3 500 € net par mois. Les femmes ne représentent que 3 % de l'ensemble routiers. « C'est vrai qu'on en voit peu. Elles restent manger dans leur camion. Elles ont un peu peur de ce monde d'hommes. » Pourtant le métier a changé. « Quand j'ai commencé, on voulait me recruter comme secrétaire. Pas comme chauffeur. Aujourd'hui, de plus en plus de boites cherchent des femmes, assure-t-elle, ajoutant que le secteur manque terriblement de bras. Elles sont plus soigneuses du matériel, laissent les cabines en meilleur état, consomment moins d'essence que les collègues qui, eux, n'hésitent pas à appuyer sur le champignon pour ne pas rester à la traîne. Et puis elles font moins de casse. » Florence Ployer assure qu'il n'y a plus besoins de gros biscotos pour manoeuvrer les nouveaux modèles de camion.

Certes, l'image de camionneuse n'a pas toujours facilité la vie de Florence Ployer. Ça lui a même coûté un mari. « Il préférait dire que j'étais femme au foyer. Il avait honte », se souvient-elle. Mais aujourd'hui, elle assure que pour rien au monde elle ne troquerait son Renault Magnum contre autre chose. « Mon camion, c'est un jouet. Quand je me réveille dans ma cabine à 4 h du matin pour prendre la route, c'est le bonheur. Je suis une princesse. »

Source : Ouest-France - Igor Bonnet


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