La plus grande usine de France fait le gros dos

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Publié le: 03/02/2009 - Mis à jour le: 12/07/2022
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REPORTAGE
Depuis octobre, l'industrie automobile patine sec. Plongée dans la vallée du Doubs, à Sochaux-Montbéliard, qui abrite le berceau de Peugeot, la plus grande usine de France (12 500 salariés).

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SOCHAUX-MONTBELIARD (de nos envoyés spéciaux). - Comme une traînée de poudre. Des images tournées à la tombée de la nuit, entre chien et loup, avant Noël. Des ouvriers qui se fournissent en patates à bon marché auprès du comité d'entreprise de Peugeot. Du « Zola » qui en a hérissé plus d'un dans la vallée.

« Choquant, gronde Pierre Moscovici, le président socialiste de la communauté d'agglomération de Montbéliard. Ces images diffusées par TF1, c'est une vision misérabiliste, absurde et mensongère. Humiliant pour les gars qui bossent, se battent et font face avec courage. »

Depuis qu'en octobre, la conjoncture s'est brutalement détériorée, Peugeot serre les boulons, ajuste la production, « adapte » ses effectifs. Jours chômés à la pelle, arrêt de l'équipe de nuit, 800 intérimaires renvoyés avant le printemps. Sans compter les coupes intervenues chez les équipementiers et sous-traitants. « La crise la plus importante qu'on ait jamais connue, analyse Jean-Claude Even, le délégué CFDT. Rapide, brutale. Et dire qu'en septembre, on travaillait encore plein pot... »

Très vite, les regards se sont tournés vers cette vallée du Doubs qui abrite le berceau de la marque au Lion. La plus grande usine de France, toutes industries confondues, avec ses 12 500 salariés, ses 265 hectares, ses 56 kilomètres de routes et voies de chemin de fer privées. Comme un immense fauve d'acier autour duquel s'enroulent villes et villages aux tuiles brunes, dont Sochaux (4 500 habitants) et Montbéliard (26 000).

A la fin des années 1960, la main-d'œuvre vosgienne et jurassienne n'y suffisait plus. Et les sergents recruteurs couraient les CET (collèges d'enseignement technique) de France pour nourrir le fauve. « Vous serez à 16 kilomètres de la Suisse, 80 de l'Allemagne et 280 de l'Italie », lançaient-ils aux jeunes apprentis ébahis.

C'est comme ça que Christian Corouge, ajusteur de 18 ans tout juste sorti d'un CET de Cherbourg, le père ouvrier à l'arsenal, s'était laissé embarquer. Quarante ans après, il y est toujours et rêve toujours autant de la mer. Et puis ce sont les Yougoslaves qui sont arrivés, et les Maghrébins. En 1979, Peugeot employait 42 000 personnes.

« Les gars ne croient plus en rien »

L'accent un peu traînant des Franc-Comtois a survécu aux mouvements de population. Et les trois « P », Peugeot, protestantisme et puritanisme, continuent d'irriguer de loin en loin les mentalités un peu à part de la vallée. Boire un verre après 20 h à Montbéliard relève du parcours du combattant. « Ici, les gens se couchent tôt pour se lever tôt et être en forme pour travailler », explique Jean-Charles Lefebvre, le directeur de la communication de l'usine. Un pays de bosseurs où la rigueur, l'austérité et la fierté du travail bien fait sont encore la règle, à l'ombre du temple luthérien Saint-Martin, le plus ancien de France.

Les effectifs ont fondu. Mais Sochaux-Montbéliard reste la capitale française de l'automobile, une sorte de Détroit à la campagne. En Franche-Comté, plus de 40 000 personnes travaillent de près ou de loin pour le constructeur. « Diversifier ? ironise Fathia Rebrassier, de la CFDT, mais on n'est même pas capable de garder l'usine de scooters, dont une partie a été délocalisée en Chine. »

Bruno Lemerle, délégué CGT, premier syndicat chez Peugeot, relativise : « Cette mono-industrie, c'est une faiblesse et une force. S'attaquer à Sochaux, ce serait s'attaquer à la vie de la région. Un risque politiquement majeur. »

Pour l'heure, les ouvriers encaissent. « Il y a de la colère à devoir payer les pots cassés, mais aussi une tendance à baisser la tête, à faire le gros dos, en espérant que ça passe à côté de soi », avoue Bruno Lemerle. Il connaît ses gars. Un peu lents au démarrage. « En 1968, comme en 1936, Sochaux s'est mis en grève après tout le monde, mais a repris aussi après. Dans le sang. Est-ce qu'on se rappelle que deux ouvriers ont été tués ici ? »

Les temps ont changé. Comme ailleurs, les solidarités ont volé en éclats. Version pessimiste. « Les gars ne croient plus en rien, soupire Alain, la cinquantaine, ni à l'État ni aux patrons ni même aux syndicats. »

Dans son bureau, qui donne sur le stade Bonal et les grilles de l'usine, Alexandre Lacombe, président du FC Sochaux-Montbéliard, ancien directeur des ventes de Peugeot en France, voudrait à tout prix rassurer : « Ici, ce n'est pas la sidérurgie, ce n'est pas la Lorraine. Le monde aura toujours besoin de voitures. Cette industrie, c'est l'adaptation permanente. »

Marc Pennec - Photo : Daniel Fouray – Ouest-France