Carburant : une vie suspendue à l'essence

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Publié le: 21/10/2010 - Mis à jour le: 07/04/2015
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Photo : Frédéric GIROU À Machecoul, au sud de Nantes, la station-service du Super U turbinait sec, hier matin. Photo : Frédéric Girou

À 20 km de la ville, une vie suspendue à l'essence

Comment fait-on, face au risque de pénurie de carburant, quand on doit avaler des dizaines de kilomètres chaque jour pour rejoindre son travail ? Nous avons parcouru hier matin, aux petites heures, une portion de la troisième couronne de Nantes, à 20ou 30 km au sud de la ville. Curieux mélange de calme et de poussées nerveuses.

6 h 45. Les colonnes de voitures qui filent vers Nantes semblent aussi denses qu'à l'accoutumée. Nous sommes dans le Sud- Loire, à une bonne vingtaine de kilomètres de la grande ville, dans cette troisième couronne qui se couvre de plus en plus de pavillons et accueille chaque année un peu plus de population. Chacun semble avoir pris ses précautions. Enfin, peut-être pas tout le monde...

Nous laissons sur notre droite une station Total prise d'assaut par les automobilistes. Une file de plusieurs centaines de mètres. À 7 h, nous voilà au parking de covoiturage de Saint-Philbert-de-Grandlieu, l'un des plus importants de Loire-Atlantique. Il ne déborde pas d'activité. Menaces sur les carburants, repli sur un plan B ? Faudra repasser.

8 h 45, à Machecoul. La station-service du Super U turbine sec. La file s'allonge. « C'est comme ça depuis lundi de la semaine dernière, fait remarquer Corinne, une des salariées. Mais les clients sont un peu plus patients, plus compréhensifs on va dire. On a des réserves jusqu'à cet après-midi. Ensuite ? Mystère. »

Dans le quart d'heure qui suit, coup de chaud aux pompes. Deux automobilistes n'apprécient pas qu'on prenne des photos. « Les gens sont à cran, explique un des responsables du magasin. On reçoit 300 coups de fil par jour. J'ai une salariée qui est à bout. »

Dans la queue, on prend son mal en patience. Didier, 44 ans, travailleur indépendant : « Si je veux travailler un peu, il me faut du gasoil. Chacun défend son bout de gras. Mais il la faut, la réforme. Autrement, on va devoir capitaliser nous-mêmes pour notre retraite. » Lucie, 22 ans, fait chaque jour 80 kilomètres, aller-retour, pour rejoindre Rezé où elle fait de la comptabilité : « Je trouve tout ça excessif, ça m'agace un peu. »

10 h 30, à Aigrefeuille. La station de l'Intermarché est fermée. Seuls passent les véhicules d'urgence : ambulances, pompiers, médecins, cars scolaires. Véronique, la pompiste, soupire : « Il y a des gens très agressifs. On se fait insulter. Des gens du coin nous disent : ' On fait notre plein ici, c'est lamentable que vous n'ayez pas de carburant '. On n'est pas livré depuis samedi. Peut-être demain ? » Beaucoup de ceux qui habitent cette troisième couronne nantaise travaillent à Nantes et dans la périphérie immédiate. Voiture nécessaire. Aujourd'hui, les uns et les autres croisent les doigts.

Denis, 39 ans, technicien dans un service après-vente d'une grande enseigne de la périphérie nantaise, avale chaque jour 70 km aller-retour pour rejoindre son travail. Sa compagne, Anne, en fait une trentaine dans une direction différente. Ils ont deux voitures.

« On habite dans le vignoble. On en a absolument besoin. Et en même temps, je suis solidaire de ce qui se passe. Même si ça perturbe, il faut malheureusement en passer par là. Il est temps que le gouvernement écoute ce qui se dit. » Denis a suffisamment de carburant pour tenir la semaine. Pour Anne, ça devient problématique.

Adeline, 31 ans, gestionnaire de logements sociaux, habite la Chapelle-Basse-mer et travaille à Saint-Mars-la-Jaille. Près de 80 km aller-retour. La destination n'est guère courue. Inutile de songer au covoiturage.

« Il me reste un demi-plein et j'espère tenir jusqu'à la semaine prochaine. On a beaucoup de rendez-vous à l'extérieur. Jeudi, j'ai fait 200 km dans ma journée. On réduit désormais. Si la pénurie se poursuit ? On a posé la question à notre chef. Pas de réponse. » Adeline n'a pas manifesté contre le projet de réforme des retraites mais, dit-elle : « Je suis solidaire. Si les gens tiennent bon, l'État devrait se poser des questions, non ? »

Yannick, 35 ans, artisan électricien à Vallet, dans le vignoble, six salariés, souffle : « C'est un mode de protestation qui a fait ses preuves ! Et c'est toujours frustrant. On a tous une part d'égoïsme. On essaie de s'en sortir. Moi, si j'ai pas de gasoil, mes six gars ne peuvent plus bosser. Déjà que la conjoncture est difficile... » Alors Yannick s'est débrouillé pour alimenter ses deux fourgons et ses trois utilitaires grâce à un ami entrepreneur qui dispose de réserves. Surtout, il a repoussé à plus tard certains chantiers éloignés et privilégié ceux de Vallet.

« J'ai tout réorganisé pour que les gars n'aient pas cinquante allers-retours à faire tous les jours. Le midi, je leur paie le resto sur place. Et moi qui avais tendance à rouler assez vite, j'ai levé le pied. Ça se ressent dans le réservoir. » Il regarde la réforme, dit qu'on est au pied du mur, qu'il faudra bien faire quelque chose, mettre la main au portefeuille, réduire les inégalités.

Mais Yannick a bien autre chose en tête. Sa femme attend « le troisième. C'est vraisemblablement pour cette semaine ». Il a pris ses précautions. Le plein de la voiture est fait. Paré pour la maternité.

Marc PENNEC, Ouest-France

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