24 Heures du Mans : petites histoires secrètes

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Publié le: 14/06/2007 - Mis à jour le: 08/10/2019
Avec le début des essais, hier soir, la fièvre monte au Mans où, samedi et dimanche, va se dérouler la 75e édition de cette course de légende. Il faudrait plusieurs livres pour raconter les petites histoires, les drames et les exploits qui la jalonnent. On vous en raconte quelques-unes avec l'aide d'Hervé Guyomard, directeur pendant 36 ans du circuit Bugatti.

Essais de nuit. La voiture de Jean Rondeau, pilote-constructeur sarthois, est à la peine. Ce mardi de juin 1980, pendant les essais libres des 24 Heures du Mans, elle se traîne et réalise des chronos de misère. Pour une raison inexpliquée, le moteur n'a pas son rendement habituel. Demain auront lieu les essais qualificatifs. Si rien n'est fait, elle ne sera pas au départ. Qu'à cela ne tienne. A 2 h du matin, Rondeau aligne « la bête » au début de la ligne droite des Hunaudières, alors rendue à une circulation normale (c'est la route Le Mans-Tours). Des comparses ont été placés aux différents accès pour prévenir poids lourds et automobilistes qu'un furieux s'apprête à faire des allers-retours à 250 km/h. Et il s'élance. Le vacarme dans la tranquille nuit d'été est assourdissant. Après quelques passages pied au plancher, Rondeau détecte l'origine de la panne : une pièce transistorisée défectueuse. Il en fait venir une par petit avion de Belgique. Répare. Qualifie la voiture. Et gagne la course le dimanche après-midi. A part quelques initiés, personne n'en a jamais rien su.

A poil. Des histoires comme celle-ci, Le Mans en compte des dizaines. Ancien directeur du circuit Bugatti, Hervé Guyomard a eu la chance de vivre dans la coulisse une quarantaine de 24 Heures. Année après année, il a noté les anecdotes qui l'ont frappé, ému ou fait rire. Comme celle du champion néo-zélandais Chris Amon, pilote Matra en 1971, qui touche sa paye pour sa journée d'essai et tend l'enveloppe au mécanicien en disant : « Tiens, on ne sait jamais, au cas où... » Ou celle, plus gaie, de ce ministre de la Culture des années soixante-dix. A 1 h 30 du matin, en pleine course, caprice : il veut voir le musée du circuit. On ouvre l'établissement, la visite commence. Et, oh surprise ! Un couple entièrement nu sort d'une voiture ancienne, et détale, ses vêtements sous le bras.

Surchauffe. En 1978, Renault aligne quatre voitures, dont deux « barquettes », décapotées, mais pourvues d'une sorte de bulle en plexiglas sous laquelle règne une température à élever des vers à soie. Cinq minutes après l'arrivée, comme il se présente à la direction de course, le vainqueur, Didier Pironi, s'écroule. « Un médecin l'a déshabillé à même le sol et a posé sur lui un pain de glace pour le refroidir », se souvient Hervé Guyomard. Le pilote retrouve ses esprits. Il se rend sur le « balcon des vainqueurs », se fait doucher au champagne, salue la foule, se retire. Et s'effondre à nouveau, victime d'une deuxième syncope qui, comme la première, ne sera pas révélée.

Ivre au volant. Plus drôle cette péripétie vécue par Michel Lateste, engagé sur Lola en 1972. Radiateur percé à Maison Blanche, il semble promis à l'abandon, car il n'a droit à aucune aide de son équipe. « Il est parvenu à colmater la fuite avec un chewing-gum. Puis s'est fait ravitailler en bouteilles de cidre par un riverain complaisant », raconte Hervé Guyomard. La nature, ensuite, fait son oeuvre. Deux heures plus tard, il remplit une petite partie du radiateur vide en urinant dedans. Redémarre, rentre au stand, fait réparer. Mais, un peu paf, préfère laisser le volant à son coéquipier...

Tête couronnée. On ne compte plus les célébrités qui sont venues au Mans. Quelques-unes pour courir, d'autres pour donner le départ, la plupart en spectateurs. Dans les années 70, le roi Carl-Gustav de Suède est là dans le plus parfait incognito. Il se présente au Welcome - une enceinte réservée aux VIP- et comme il n'a pas de laisser-passer, excipe de son identité. Le contrôleur se marre - il voit tellement de resquilleurs. « Il lui a répondu : 'C'est ça, et moi je suis Jeanne d'Arc !' », rigole encore Hervé Guyomard. L'affaire en est restée là, « mais on ne s'en est jamais vantés ».

Petites entourloupes. Jacky Ickx, le pilote belge va abandonner. Le roi des 24 heures a cassé sa courroie de pompe à injection. Il est en panne sur le circuit. Miracle ! Il en trouve une dans un buisson de ronces, change et repart. Les mécaniciens sont si malins ! Comme ceux de Matra, par exemple, qui fourrent d'une clé plate le sandwich adressé à leur champion, train-avant bousillé après une collision dans la voie des stands.

Drapeau à retardement. Instant de panique et brusque montée d'adrénaline juste avant le lancement de cette édition des années 90. Où a-t-on égaré le drapeau tricolore à franges qui sert à donner le signal du départ ? 15h59, plus qu'une minute. On le cherche fébrilement et, une poignée de secondes avant l'heure fatidique, énorme soulagement : le voici dans un tiroir. « Depuis, deux drapeaux sont disponibles ».

Sueurs froides. Retour à l'édition de 1980. L'arrivée est dans une heure. La Rondeau, pilotée par Jean-Pierre Jaussaud, est en tête, mais la Porsche d'Ickx revient comme une fusée. A la sortie du virage Dunlop, le Caennais commet une erreur de pilotage. La voiture sort de piste, le moteur cale. Depuis le petit matin, à chaque arrêt ravitaillement, le démarreur refuse obstinément de fonctionner. Jaussaud est au désespoir : vient-il de faire perdre les 24 heures à son ami Jean Rondeau ? Il appuie quand même sur le bouton. Ca marche, ça ronfle, et le « proto » s'élance vers la victoire.

Marc MAHUZIER.